12.14.2020

Philippe Mathy, Étreintes mystérieuses


Paru aux éditions L'Ail des ours en septembre 2020, ce recueil de Philippe Mathy nous offre une pause, une contemplation active du temps dans lequel nous vivons. Les mois et les saisons se succèdent, nourris par un quotidien habité d'odeurs, de lumières, de voix, et de visions fugitives.   




"Robe blanche de la pelouse ; le soleil la plisse d'ombres claires. Un vent glacé la caresse, illumine de transparence le paysage, étonné d'être réduit à l'immobile."

La nature est là, à chaque page. Les mots de Philippe Mathy dépeignent de courtes scènes et situations. Il faut ici écouter le présent, écouter ce que souvent l'on ne prend pas le temps d'écouter. Le lecteur appréciera  l'apport des oeuvres de Sabine Lavaux-Michaëlis qui illustrent très bien cette délicate perception des choses.


"Vivre sur un autre versant, plus attentif aux énigmes du silence, à la douceur du vent, des plumes ou des pelages, au sourire d'une lumière sur l'eau, dans les branches, sur le grain d'une peau où notre main se pose."

C'est une posture, une approche, une attention silencieuse au monde. Si l'on suit le narrateur dans cette prose envoûtante c'est aussi parce qu'il sait nous y inclure. On notera d'ailleurs ce "on". L'existence y est vécue à la lumière d'une solitude universelle. 


"Certains jours, le jardin est une maison de pluie. Les fleurs s'inclinent jusqu'à tomber sur la pelouse. On est debout  derrière la vitre ; on regarde l'eau enlacer toutes choses, le ruisseau, agité de soubresauts. On se tait. On cherche en soi un peu de soleil, le fil d'une lumière pour accepter le fil de l'eau."


Le recueil se clôt en évoquant l'écriture, sa démarche. Comment parler de tout ça ? Comment saisir cette vie et la transmettre, la faire passer ? Des questions auxquelles l'écriture de Philippe Mathy apporte une réponse.


"Des mots passent ; on voudrait les retenir. Déjà, ils ont fui. D'autres le suivent. C'est un ruisseau boueux sur une terre meuble.
On recueille un peu de cette eau trouble sur une feuille. Que de travail, de patience, pour qu'elle se clarifie, réapprenne la transparence."


Un texte d'une profonde sensibilité et une belle invitation à saisir ces étreintes mystérieuses.


Lien vers l'éditeur :

12.07.2020

Julien Boutreux, J'entends des voix 

Un texte paru en 2019 aux chouettes éditions Le Citron Gare. Deux parties dans ce recueil : j'ai un métier vachement cool et J'entends des voix. Si ces deux parties évoquent des thèmes spécifiques et différents, il n'en ressort pas moins une unité de forme et de ton, une voix.



La poésie suit dans chaque partie une même structure. Un poème = un métier vachement cool.


"J'ai un métier vachement cool
toute la journée je perds des trucs
et je passe mon temps à les chercher"

Puis, un poème = une voix qui parle avec l'auteur. 


"Alors j'ai parlé à Vercingétorix

pas trop déçu, chef arverne ?"

Les textes interrogent la modernité à travers la notion travail dans la première partie. Cette question vient : qu'est-ce que le travail aujourd'hui ? Les métiers de Julien Boutreux ne sont pas des métiers, ne font pas vivre. Et pourtant, le CDI ferait presque envie. 

Dans J'entends des voix, dialoguer avec les autres qui nous habitent permet d'accéder à soi et de se parler. Les voix commencent par Dieu et finissent par Lucifer (qui est "vachement bien gaulée"), racontant une exploration intérieure dans laquelle on pénètre avec plaisir.

Que cela soit dans la première ou la deuxième partie du recueil, on l'aura entendu, il y a de l'humour là-dedans. Une forme d'humour, une forme d'autodérision. Une autodérision dont le sérieux fait hésiter le sourire d'un lecteur perturbé par le miroir tordu de sa réalité. 


"J'ai un métier vachement cool
je suis de plus en plus moi 
car je dois dire qu'avant
je n'étais pas vraiment moi
je me cherchais
je travaillais dur à me trouver
et ça ne servait à rien 
vue que ça vient tout seul
ce qu'on est"


Je tenais aussi à souligner l'accord entre les poèmes de Julien Boutreux et les illustrations de Dominique Spiessert qui les accompagnent. Des traits épais habités d'un onirisme décalé et percutant pour former un ensemble vraiment très cool.


Lien vers l'éditeur :

http://lecitrongareeditions.blogspot.com/2019/12/jentends-des-voix-de-julien-boutreux-et.html

12.01.2020

Christiane Veschambre, Écrire Un caractère

Un texte paru en 2018 aux éditions Isabelle Sauvage. Lorsque je l'ai lu, ce petit livre rouge m'a marqué, mettant en lumière des pensées et réflexions sur la poésie que je ne formulais pas, dont je ne parlais pas, mais qui étaient là, matières noires de mon écriture. 


Écrire est ici une entité, indépendant de celui qu'il travaille, ce verbe impose ce qu'il veut à celui qui serait son hôte. Écrire est parfois tyrannique. Deux phrases qui ouvrent la réflexion de Christiane Veschambre que je trouve absolument magnifiques :


Écrire ne veut pas travailler.
Écrire nous travaille. "

Quiconque a déjà écrit se reconnaîtra forcément dans cette approche et dans ce qu'elle décrit avec une incroyable justesse. Ce que l'on  peut ressentir dans l'écriture, ce qui vient de loin, de profond, nous échappe et jaillit à travers nous. Christiane Veschambre perce ce qui nous perce :


" Écrire n'a pas d'objet. À la question : " qu'est-ce que vous écrivez ? ", on ne sait pas répondre. On répond n'importe quoi, et on pourrait répondre "n'importe quoi". Il n'importe le quoi d'Écrire, qui n'a pas objet identifié à saisir pour se compléter : il secrète son monde, qui n'existe pas avant. "

Un livre évidemment métatextuel qui écrit à propos de l'écriture. Car ce texte n'est pas qu'une réflexion sur ce qu'est l'écriture, c'est aussi une vraie oeuvre poétique qui se lit comme un recueil au protagoniste étrangement familier. 

Lien vers l'éditeur :

https://editionsisabellesauvage.fr/catalogue/%E2%80%A2-ecrire-un-caractere/