1.25.2021

 Philippe Blondeau, Tri, ce long tri


Un très beau texte paru en 2012 aux éditions Henry. Ce qu'il faut souligner, d'abord, c'est l'avertissement qui sert de préface aux poèmes expliquant le titre et la manière dont le recueil a été construit : par le tri. Un tri qui permet "qu'on retrouve dans un passé déjà diffus les traces prémonitoires de celui qu'on est devenu"




Il n'est alors pas étonnant de trouver comme thèmes récurrents le rapport au temps, le retour en arrière, l'enfance et même la mort. Ci-dessous, un des poèmes de ce recueil que je préfère. 


JARDIN DE MEMOIRE

Si la mémoire
comme une cuisine de campagne
gardait une porte ouverte sur le jardin
on s'y glisserait sans rien dire
pour dormir dans l'alcôve des feuilles
sans souci que de se souvenir
d'un cheval gris noyé dans les fougères du lac
d'un quai arasé par la pluie
ou d'une enfance
un après-midi de village
et les maisons ouvertes
où s'affairent ceux qui mourront

et tout ainsi rassemblé
nul tumulte redouté
le passé comme une limonade tiède
suffirait à notre soif. 

Sans quitter une certaine narration, la richesse des associations éclaire des moments de vie. Des images saisissantes apparaissent.


SILHOUETTE DE L'ÂME

Le silence est une plante rare
qui pousse près d'une église de campagne
parfois dans un après-midi de fin d'hiver
où le soleil déchaussé
balance au hasard un pied furtif

le vent moissonne sur les pierres
des oraisons
la mère et la fille tenant la main du juste
tout demeure arrêté
dans l'espace amer d'un bonheur désolé
et l'âme
en deviendrait presque visible
dans l'aveuglement des vitraux pâlis.


En lisant et relisant le texte, on découvre aussi une alliance entre le fond et la forme du recueil. Une alliance entre ce que disent les poèmes et la démarche de l'auteur. Les poèmes trient, eux aussi.

VU D'UN JARDIN

Instant que la pluie concède au jardin :
la lumière brisée - éparpillée dans l'herbe

nuages et vignes sont noués là-bas
au même feu de cristal froid

dans le noir de la haie une histoire commence
mais le mensonge du bleu en aura tôt raison 

ici comme ailleurs
l'enfant à venir sera mon témoin

mon lecteur.
 

Dans ces poèmes, il y a ce qu'il reste, ce qui tient, ce que l'on peut transmettre. Ce que le poète peut transmettre. Il y est question de ce que peut laisser une génération à une autre. Ce recueil par exemple. Mais, plus que ça, l'écriture du recueil, la poésie. 

Que peut-on trouver dans la poésie de la même manière qu'elle trouve ? Réponse par cette poésie qui cherche en trouvant, poésie qui fait ce qu'elle dit, poésie performative. 


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1.15.2021

 Samuel Martin-Boche, La ballade de Ridgeway Street #1


Quoi de mieux qu'une lecture pour se balader ? 

La ballade de Samuel Martin-Boche est profonde, attentive, à l'écoute. On y pénètre une république d'Irlande et une Irlande du Nord à travers l'oeil de celui qui y arrive, qui découvre, qui y est.

Voici ma lecture du premier poème de ce Polder 186, édité par Gros Textes en collaboration avec la revue Décharge. Il s'intitule (Le départ). Un titre entre parenthèse placé sous le poème. Vous pouvez l'écouter en l'écoutant, en ne faisant rien, en faisant autre chose, tout est permis. D'autres lectures de ce recueil suivront. Bon voyage.






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1.04.2021

 Luce Guilbaud, Où la chambre d'enfant


Ce recueil paru chez Tarabuste en 2020 aborde, plonge dans, le thème de l'enfance. Un thème très présent en poésie et logiquement porteur. Néanmoins, le texte de Luce Guilbaud m'a particulièrement touché. L'enfance n'est pas un souvenir que l'on évoque avec nostalgie, elle est là, se conjugue au présent, ancrée dans le corps et les mots de la narratrice.




"je ne sais pas qui je suis ni qui je serai 
quelqu'un me suit des yeux me surveille
connaît mes rêves et ce qui parle en moi
les mots restent brouillés"

On parle habituellement du temps de l'enfance. Ici, il s'agit plutôt du lieu. Cette chambre, lieu plutôt que temps, évite la question de la temporalité. Comme si celle-ci ne se posait pas, ne pouvait être posée. L'enfant est forcément du présent.


"où mes chambres d'enfant ?
chambres vides   chambres  d'écho
elles n'ont pas de murs   seulement des fenêtres
mes chambres d'enfant sont dans les prairies mouillées
sur les talus d'herbe verte et tapis d'aiguilles de pin
dans les champs d'asperge sur les montagnes de paille
dans les cours d'immeubles où surveillent les balcons"

Scènes de la vie quotidienne, membres de la famille, figures de l'enfance... Parfois à travers l'œil de l'enfant, parfois à travers celui de l'adulte, les poèmes de Luce Guilbaud écrivent ce mélange intime et troublant. La poésie comme chemin vers l'enfance qui nous habite. 


" si je laisse longtemps mon doigt dans la terre
il aura des racines   par elles j'irai
là où sont les fleurs avant la couleur
là où sont les arbres avant l'ombre
j'irai là d'où vient l'eau dans le puits "

Un des derniers poèmes :


" tout ce qui est oublié m'habite me constitue
tissu réel et inconnu "

Ce recueil ne parle pas de l'enfance, c'est l'enfance qui parle.


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