12.30.2021

 Maxence Amiel, perdre la terre

Paru en 2020 aux éditions La Crypte, perdre la terre de Maxence Amiel porte un travail et des réflexions que l'on retrouve dans d'autres poésies d'aujourd'hui. L'obligatoire conscience de la crise climatique et environnementale. Peut-on parler d'autres choses ? Comment faire pour ne pas y penser au moment d'écrire ? Des questions qu'on peut entendre, qu'on peut poser. Et auxquelles Maxence Amiel trouve une porte de sortie poétique avec ce recueil qui met en scène, à la manière d'un roman post-apocalyptique, une vision du futur. 




Dans une première partie, une humanité passée, pleine de regrets, qui s'est oubliée, chemine péniblement à travers une nature salie (les jardins sont des mares gluantes pleines d'acide) et quasiment disparue. 


que de jeunes enfants enseigneront aux vieillards comment ne pas mourir trop tôt, ou comment se pencher sur le ruisseau sans faire fuir la carpe, ou par quel chemin passer pour ne pas déranger la poussière, ou pour quelles raisons les vents changent de cible, et que les vieillards ne comprendront rien à ce langage-là,

Néanmoins, l'espoir y est subtilement tenu. L'humanité, même en péril, ne s'éteint pas, ne rompt pas. Cette première partie, sombre, retrouve un formidable élan de vitalité avec la suite du recueil. Le texte, aussi bien dans le fond que dans la forme, rebondit, repart et revit.


alors nous rebâtirons avant toute chose ce qui nous semblera inutile, manière de nous jurer de ne plus nous perdre, ne plus perdre la terre comme on perd un coquillage, la gardée serrée contre nos corps vivants, la garder serrée, la terre, contre nos liens, faisant serment de ne jamais les rompre,

Il convient ici de souligner la construction du recueil, primordiale dans le raisonnement du texte. Construit en deux parties, la première est une demi phrase, une proposition dont l'anaphore "que" nous fait immédiatement pénétrer dans ce monde. Nous sommes déjà dans cette phrase. Nous sommes peut-être déjà dans ce monde qui s'annonce. La seconde partie est, elle, une nouvelle phrase qui utilise aussi l'anaphore avec cette fois "alors". Les deux parties sont conjuguées au futur et propose au lecteur une histoire. Une narration dans laquelle il nous paraît nécessaire "que" ça arrive (sans jamais qu'un évènement particulier, responsable de cette évolution, ne soit mentionné) pour qu' "alors" advienne la renaissance du monde. 


alors nous seront les vivants,

Une écriture qui réussit à toucher ce que nous sommes aujourd'hui et peut-être demain. Un recueil engagé sans faire de l'engagement ni son sujet ni sa condition. Un texte qui questionne et laisse imaginer. Faut-il perdre la terre pour mieux la retrouver ? 


Lien vers l'éditeur :

12.10.2021

 Bien reçu ! : Adrien Braganti, Le ventre de l'hiver

Adrien Braganti m'a fait parvenir son recueil Le ventre de l'hiver, paru chez Prem'edit en 2019 afin de le soumettre à ma lecture. Je le remercie ici de sa confiance et de son envoi. Je salue aussi sa démarche qui me permet de présenter, donner à lire, une poésie pas souvent lue, quasiment inconnue et très peu achetée. Une poésie qui n'est pas celle des auteurs reconnus, mais une poésie qui est là, une poésie qui existe. Il y a tant à lire en poésie.




Le Ventre de l'hiver

Et tombent sans bruit les pulpes du jour
Sur le domaine de mes anciennes amours
Que le hasard gouverne de ses cordes.

L'alizé, chantant désormais sa calme messe,
Dépose ce voile de vespérales caresses
Que je retrouve dans chaque brise.

Les nuages essorent leur manteau trop lourd,
Et, sur l'écorce des chênes aux alentours
Épient la lune se baigner dans les eaux mortes.

Musant du côté de bocages encore verts,
Comme deux marionnettes nues de leur chiffon,
Mes lèvres embrassent le ventre de l'hiver.

S'échappent dans son dos tous les dégradés
Orange que l'automne eut à offrir à l'horizon.
Chaque saison se souvient de ce qui l'animait.


Les titres, l'utilisation des rimes, l'agencement en strophes, les références religieuses, le choix d'un vocabulaire soutenu ou encore l'utilisation systématique des majuscules en début de vers sont autant d'éléments qui revêtent d'une teinte presque sacrée une mémoire et des souvenirs qui pèsent sur le présent, envahissent le jour.


En première classe

Et si les restes des pluies acides
Pétillent désormais dans le sang poissé,
Nos lèvres s'attellent toujours à mordre
Les fruits des nuits pourpres et les remous du passé.

Réfléchissant à la surface de nos contours,
Où danse son ombre amusée
Le soleil rongé jusqu'à l'os
Ne fait que traverser le jour.

Taiseux, les mots boudent 
Et hantent les fresques de demain.


On lit dans ces textes toute la sensibilité du poète qui cherche et explore. Une écriture qui se construit et creuse. Il y a ici un désir d'expression, une volonté de parole (que l'on retrouve notamment dans les textes en fin de recueil), à prendre en compte. Une nouvelle fois, merci à lui pour cette lecture.

Lien vers l'éditeur :

https://www.prem-edit.com/accueil/boutique-le-ventre-de-l-hiver/