2.04.2022

 Georges Oucif, Les usines


Numéro 191 de la collection Polder, édité par Gros Textes en partenariat avec la revue Décharge, Les usines est paru en 2021. Le recueil commence par cette phrase, en italique, qui précède le premier des trente-quatre poèmes numérotés de Georges Oucif : "adieu est le seul mot qui me vienne". Il nous suffit du péritexte pour saisir le désespoir qui touche l'auteur dans son travail et son écriture. Ce recueil questionne, nous place face à nous-mêmes à travers l'image des usines, symboles et réalités du monde actuel dans ce qu'il a de plus brutal et mécanique.


Dans une narration anonyme et pluriel (ce sont "les usines", "les filles"," nos espoirs"), les usines sont immédiatement humanisées. Et, dans un troublant miroir, les êtres humains sont, eux, usinés. Ce rapport à la construction, l'être humain comme bâtiment qui se façonne, se retrouve avec l'image de la femme et de la relation amoureuse, toutes deux très présentes dans le recueil. 


les usines viennent briller la nuit sur l'acier plat du fleuve
des femmes dans des miroirs vibrent de beauté
l'orgueil de leur chair ondule comme une eau calme
comme fibules juste sorties de la forge elles brûlent
elles brûlent de la fièvre de l'or aux bijoux portés
des lèvres au fer marquées du désir
des coeurs où l'espoir est oiseau qui renaît
plus pur est le monde inversé où l'on se regarde

Ces usines, les nôtres, traduisent notre société et notre époque. On sait qu'elles sont terribles ces usines mais on ne peut s'empêcher d'être attiré par elles, d'y placer nos rêves et nos espoirs. Elles sont un amour impossible dont on ne peut s'échapper. Elles obnubilent sans cesser de dire, de dessiner, de traduire. Les usines que nous avons bâties nous construisent aujourd'hui. 


le brouillard de la vie imite la vapeur des usines
une gaze devant nous tendue laisse voir des lueurs fades
l'espace autour s'estompe amputé d'obscurité grise
toi quand tu fuis comment t'attraper
ta peau se fond dans la clarté indécise de ces lieux de brume 
les usines sont toi pourtant quand je te cherche
voir n'est qu'un bruit de turbines
des feux qui avec nous jouent à cache-cache
et à chaque pas se laissent deviner
il n'y a pas de lieux dans les usines où le monde soit palpable
un voile sur nos yeux dessine nos mensonges

Les usines ne sont pas que des usines même si elles le restent. Il est important de souligner aussi dans ce texte la beauté des images géographiques qui naissent de cette répétition des usines. Les constructions et élévations qu'elles évoquent pour servir l'élaboration d'un espace aussi bien physique que mental. Se dresse alors notre paysage intime et collectif. 


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