6.20.2023

    Heptanes Fraxion, Ni chagrin d'amour ni combat de reptiles


Recueil paru en 2022 aux éditions Aux cailloux des chemins. C'est avec beaucoup de plaisir qu'avec mes maigres mots je vous propose cette forcément trop courte recension du recueil d'Heptanes Fraxion. Un auteur qui, il me semble, occupe une place singulière dans la poésie contemporaine. En tout cas, au moins, dans ma bibliothèque. Parce qu'avec cette poésie, avec ce recueil,  on entre dans la nuit, on s'y fraye un chemin à l'aide de coups d'épaules (on a pas le choix si on veut en être). Mais plus qu'une volonté dans l'écriture de choquer, de prendre le contre-pied, de bousculer, à travers un quotidien observé et ciselé, on saisit, à la lecture, que c'est la vie elle-même qui déroute. 



liquider le passé le coeur qui pompe le peut-il

innocents et sans scrupules
nous courrons l'un vers l'autre sur le parking de la gare routière
nous marchons sous la neige sans ressentir le moindre froid
nous nous regardons comme si nous existions vraiment et nous éclatons de rire la bouche pleine de sandwiches
liquider le passé le coeur qui pompe le peut-il

plutôt que de deviser sans fin sur nos lacunes
nous nous suçons devant un écran plat où prédateurs et proies se feintent et se rusent 
(toute cette pureté)

nous n'avons pas vraiment besoin de but
nous n'avons surtout pas besoin de mission
nous laissons le vent réduire minutieusement en copeaux nos gueules de bois
et nous restons pensifs comme des vétérans devant le chantier de démolition
liquider le passé le coeur qui pompe le peut-il
[...]

Nous suivons, à travers une quarantaine de poèmes titrés, des êtres et des lieux abîmés, qui disent leurs abimes. On y navigue dans les eaux troubles de différents paysages urbains, on y déambule accompagné d'un tu, d'un je, d'un nous, ou juste d'un type. Et c'est au coeur des violences de vocabulaire, de ton, de rythme, que la poésie éclate. Dans ces mots, on y cherche et on y trouve, sa place dans le monde, toute sa singularité, toute sa pluralité.


presque nuit


Il fait presque nuit
et presque tout le monde passe son temps à montrer sa supériorité
à se régaler de la souffrance d'autrui
à se défoncer avec ses propres pets

il fait presque nuit et grâce aux grandes entreprises
il n'y a plus que ça à faire et plus que ça à penser
juste survivre sans se plaindre

il fait presque nuit 
et des ombres bleues me donnent à voir le visage étrange de mes amis
mes amis qui ne s'en sortent pas 
mes amis qui ne font pas semblant
mes amis qui chantent la mécanique joyeuse et cruelle de la vie
[...]

Ici, pas de distance. L'auteur est là, en s'incluant, en y mettant de sa vie. Ça se sent, ça se renifle. Cette poésie dépasse une posture destroy qui serait finalement assez convenue et, bien au contraire, éclaire une humanité sincère.


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