Natyot, ils défaut de langue
Paru en juin 2021 aux éditions la Boucherie littéraire, ils défaut de langue dresse un portrait des moeurs de notre époque, de nous. À l'aide d'un travail formel tenu tout au long du recueil dont le marqueur le plus évident est l'anaphore du pronom "ils", les poèmes décrivent des scènes du quotidien. Mais ils font aussi bien plus. Le texte de Natyot, dans sa forme et son fond, porte également une réflexion sur la langue. Comme expliqué à la fin du recueil : "On parle de défaut de langue quand ce qui sort de la bouche est altéré voire transformé par ce défaut. "ils" est un défaut de langue."
Il y a dans les poèmes de Natyot un recul de l'observateur et un regard à la distance quasi sociologique sur des scènes quotidiennes, classiques, clichées. L'anonymat pronominal sert ici à parler de groupes sociaux représentatifs de notre société. Peu de place est laissé à un individu broyé dans des situations que le lecteur reconnaît (et dans lesquelles parfois même il se sent acteur). Ce pronom, "'ils", utilisé par défaut sert bel et bien à définir. "tous", le dernier mot du recueil conclut parfaitement l'angle poétique du texte.
C'est également dans la forme des poèmes, qui éclaire de manière cinglante des scènes de notre époque, que cette écriture adopte une distance et cherche à paraître la plus objective possible. À la manière d'un documentaire dont nous sommes le sujet d'étude, les vers, propositions simples, attaquent, tranchent, une vie de tous les jours. Le ton est neutre, le rythme est égal, et l'objectivité de la description est accentuée par l'absence de ponctuation et même de pagination. Il ne doit y avoir aucun marqueur, aucune différence d'une page à une autre. L'absence de pagination lisse la forme du texte. Quant aux titres, absents eux aussi, on les devine à l'aide d'un sommaire en fin de recueil. Un jeu, auquel on se prête volontiers, qui nous fait relier un texte à un titre. Cependant on se rend compte très rapidement que ce jeu est inutile, tronqué, car les titres on les devine, on les connaît. Un questionnement naît alors chez le lecteur.
Curieux tout de même lorsque, même quand on ne veut rien dire, on dit quelque chose. Décrire n'est-ce pas déjà dire ?
Comme indiqué en postface, ce texte porte une réflexion sur la langue. La langue est-elle prise en défaut pour parler de ce dont ce pronom parle ? Comment parler de ça ? De ces drôles de coutumes, de ces normes, de ces pratiques ? De cette manière qu'a la langue de parler de tout le monde à l'aide d'un pronom qui ne le fait pas ? Par une poésie sensible et attentive. L'écriture de Natyot met brillamment en lumière ce que l'apparente neutralité de la description dit quand même, malgré elle. Un texte qui illustre ce que la langue, comme la poésie, peut dire sans dire.
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